Un cycle se termine avec la fin du hajj à la Mecque, ultime pilier de l’islam. Et un autre débute avec le mois de mouharram, aussi nommé mois d’Allah, un des quatre mois sacrés de l’année. (Le nombre de mois, auprès d’Allah, est de douze (mois), dans la prescription d’Allah, le jour où Il créa les cieux et la terre. Quatre d’entre eux sont sacrés: telle est la religion droite. (Durant ces mois), ne faites pas de tort à vous-mêmes.) [Le repentir:36]. Ibn Abbas explique que le péché commis durant ces mois est plus grave et la bonne œuvre bien mieux récompensée.
Les mérites de ce mois sont nombreux. D’après Abou Hourayrah, le Messager d’Allah, paix sur lui, a dit : « le meilleur jeûne à observer après celui du mois de Ramadan est le jeûne pratiqué au cours du mois d’Allah, mouharram. » [Mouslim]. Et le prophète, paix sur lui, a recommandé de jeûner le dixième jour de ce mois, le jour de ‘Achoura. D’après Abou Qatada, qu’Allah l’agrée, le Prophète, paix sur lui, a été interrogé concernant le jeûne du jour de ‘Achoura. Il a répondu : « Il permet d’expier l’année écoulée ». [Mouslim].
Au-delà de son importance religieuse, le mois de mouharram marque le début du calendrier musulman. Historiquement, à la demande du compagnon Abou Moussa Al-Ach’ari, alors gouverneur de Bassora (Irak), le deuxième khalife Omar a établit, après consultation, le calendrier islamique en choisissant l’hégire comme évènement de début. Ce calendrier rythme particulièrement la vie religieuse à travers ses principales pratiques : la prière, la zakat, le jeûne et le hajj. Le choix de l’hégire n’est évidemment pas anodin. Il marque en effet un tournant important dans l’histoire de la communauté musulmane des débuts. La minorité persécutée devient une communauté autonome, la religion rejetée par les mecquois est accueillie par les médinois, l’effort collectif passe d’une phase de résistance à l’oppression à la construction d’une nation. Après l’hégire, même
les versets du Coran, qualifiés de médinois, s’allongent pour embrasser la nouvelle situation.
‘Achoura, le dixième jour du mois de mouharram commémore un autre évènement marquant dans l’histoire humaine. Allah exalté soit-il a sauvé Moïse, paix sur lui, et son peuple et a détruit Pharaon et son armée. On ne peut parler de cette intervention divine sans parler de l’exode de Moïse, paix sur lui, et de son peuple. Un parallèle peut être réalisé entre cet exode d’Egypte et l’hégire des musulmans de la Mecque vers Médine.
La situation avant l’émigration était comparable pour les deux communautés. En tant que minorités, ils vivaient sous la persécution et l’oppression. Leur religion était perçue comme un danger par le pouvoir en place. Elle était dénigrée et considérée comme une atteinte aux valeurs ancestrales, une source de corruption de la société. Cela justifiait les mesures les plus radicales pour s’en débarrasser. (Laissez-moi tuer Moïse, s’écria Pharaon, et qu’il invoque son Seigneur (pour qu’Il le sauve). Je crains qu’il ne dénature votre religion, ou qu’il ne fasse se manifester la corruption sur terre.) [Le Pardonneur:26]. A la Mecque, les musulmans étaient insultés, frappés, torturés. Le prophète, paix sur lui, face à ces souffrances, demandait aux premiers croyants de faire preuve de patience : « Patience, ô famille de Yassir, car le paradis vous est promis ». [Authentique Al-Hakim]. Mais avec la persistance de cette persécution et son augmentation, la situation ne pouvait durer ainsi pour les croyants et le destin divin allait conduire les fidèles vers le changement. (Nous voulions favoriser ceux qui étaient opprimés sur terre, en faire des guides et en faire des héritiers) [Les récits:5].
Le choix de la destination et du moment de départ de ce voyage s’est fait sous ordre divin. (Nous révélâmes à Moïse : « Tu partiras, pendant la nuit, avec Mes serviteurs, car vous serez poursuivis. ») [Les poètes:52]. D’après Aïcha, le Prophète صلى الله عليه وسلم a dit aux musulmans : « On m’a montré (en songe) votre lieu d’émigration, un endroit avec des palmiers entre deux terrains rocheux noirs. Ainsi, ceux qui ont émigré se sont dirigés vers Médine, et la plupart de ceux qui avaient émigré en Abyssinie sont revenus à Médine. » [Al-Boukhari]. Le soutien d’Allah était manifeste dans les deux émigrations. Alors que le peuple de Moïse, paix sur lui, s’écriait qu’il était sur le point d’être rejoint par l’ennemi (Certes non, dit (Moïse), car mon Seigneur est avec moi, Qui me guidera !) [Les poètes:62]. Sur leur route vers Médine, lorsqu’Abou Bakr craignait que les mecquois les surprennent, (Ils étaient alors dans la grotte et, lui (le prophète), disait à son compagnon (Abou Bakr) : « Ne t’afflige pas, car Allah est avec nous ! ») [Le repentir:40].
Cependant ce voyage sous la supervision divine n’était pas une fin en soi mais les prémisses de la construction d’une nation nouvelle de croyants avec un lien unique à leur Créateur. Ils avaient pour responsabilité de bâtir une société fondé sur la foi, la justice, la fraternité. Ils devaient accepter de se soumettre entièrement aux injonctions divines, abandonner leurs idoles, pour se diriger vers l’Unique, l’Eternel. (Ô vous qui avez cru ! Entrez dans l’islam pleinement et ne suivez pas les pas de Satan car il est pour vous un ennemi avéré) [La vache:208]. Arrivé à Médine, le premier acte du prophète, paix sur lui, fut d’ériger une mosquée, avant même de construire ses propres appartements. Son deuxième acte fut de fraterniser entre les mecquois émigrés et les médinois. Deux obstacles importants se dressaient devant la réussite de la communauté musulmane : les ennemis de l’intérieur, les hypocrites, et les ennemis de l’extérieur, les mecquois et leurs alliés. Les premiers se sont affaiblis progressivement et les seconds définitivement battus à la conquête de la Mecque. Ce fut en même temps l’entrée triomphante en terre sacrée de la communauté musulmane. Moïse, paix sur lui, a rencontré plus de difficultés avec son peuple entre les anciens réflexes d’idolâtrie avec l’adoration du veau d’or et la tendance à discuter les commandements divins. Malgré les multiples miracles, ils exigeaient de voir le Créateur : (Et (souvenez-vous encore) lorsque vous avez dit : « Ô Moïse ! Nous ne te croirons pas avant d’avoir vu Allah d’une façon évidente. » Alors, la foudre vous a saisis pendant que vous regardiez (impuissants).) [La vache:55]. Ils furent ensuite ressuscités afin d’être reconnaissants et une nourriture du ciel leur a été descendu. Il leur a été demandé d’entrer en terre sacrée mais ils refusèrent d’en assumer le prix. Finalement ils erreront dans le désert durant quarante années.
L’hégire fut ainsi bien plus qu’un simple déplacement géographique. Ce mouvement fut un tournant historique, la naissance d’une communauté musulmane autonome. Il marque le début de l’expansion de l’islam dans la péninsule arabique d’abord, confortée par le premier calife Abou Bakr, et étendue largement par le deuxième calife Omar. Omar entre pacifiquement à Jérusalem en garantissant par écrit la liberté de culte aux chrétiens. Puis l’islam, ce message universel, a continué son chemin vers les cœurs des Hommes sur tous les continents du monde non par la persuasion de la force mais par la force de persuasion.
L’hégire est donc cet extraordinaire élan spirituel vers Allah dont nous vivons les conséquences aujourd’hui encore depuis 1445 années et dont l’année 1446 vient de débuter. L’hégire n’appartient pas au passé; au contraire, il est vécu chaque jour par le musulman et la musulmane qui font le choix de quitter la vallée de la désobéissance, de l’humiliation pour côtoyer les sommets de l’adoration d’Allah : « le mouhajir (l’émigrant) est celui qui abandonne ce qu’Allah a interdit. » [Al-Boukhari et Mouslim]. Puisse Allah nous faciliter l’hégire constant vers Lui et Son messager dans nos paroles et nos actes du cœur et du corps. Et qu’Allah apporte une issue favorable à nos frères et sœurs persécutés à Gaza, au Soudan et dans le monde.
Le prophète Muhammad ﷺ a dit :
«Allah a dit : Dépense ô fils de Adam et Je dépenserai pour toi»
Rapporté par Boukhari et Mouslim